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Vidéo "Lettre à Madame Jacqueline Sauvage" : l'avocat général lui écrit pour "restituer la vérité judiciaire"

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Article rédigé par franceinfo - Édité par Thomas Pontillon
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Frédéric Chevallier, avocat général lors du procès en appel de Jacqueline Sauvage, a écrit une tribune dans le journal "le Monde". Il explique sa démarche sur franceinfo. 

"Il faut favoriser le fait qu'on puisse mettre un terme" aux souffrances des violences conjugales "autrement que par une violence qui n'est pas légitime", a expliqué mardi 2 octobre sur franceinfo Frédéric Chevallier, avocat général lors du procès en appel de Jacqueline Sauvage devant la cour d'assises du Loir-et-Cher. Il signe une tribune dans le Monde, intitulée Lettre à Madame Jacqueline Sauvage, au lendemain de la diffusion sur TF1 d'un téléfilm consacré à l'histoire de cette femme condamnée à 10 ans de prison pour avoir tué son mari de trois coups de fusil dans le dos, puis grâciée en 2016 par François Hollande. 

franceinfo : Pourquoi avez-vous écrit cette lettre ?

Frédéric Chevallier : Ce que j'ai écrit dans cette lettre je l'avais déjà dit, à plusieurs reprises, à des médias, à des journalistes qui s'intéressaient au sujet, mais manifestement j'ai été inaudible ou pour partie entendu. Je me suis dit, à l'occasion de la sortie du film, il faut retrouver un moyen de restituer la vérité judiciaire, et le faire avec une lettre. D'abord, je savais que je ne serais pas coupé, et ensuite je me suis dit que peut-être je serais lu, et peut-être entendu.

Vous faites cette conclusion : Jacqueline Sauvage est devenue le symbole inadapté d'un fait majeur de société. Pourquoi ?

Nous sommes devant une énorme contradiction. Nous disons donc : lorsque je suis une femme battue en 2018, je dois me faire justice moi-même, et tout le monde applaudira. Je ne peux pas l'entendre en tant que magistrat, vous ne pouvez pas l'entendre en tant que citoyen civilisé. On a fait une grande avancée : imaginer que l'État, la justice, pourrait, à la place des victimes, rendre une décision apaisée. Il faut que les gens réfléchissent. Est-ce qu'ils considèrent que c'est un symbole acceptable de dire qu'aujourd'hui pour lutter contre les violences faites aux femmes il s'agit de tirer trois coups dans le dos de son mari ? Il faut favoriser le fait qu'on puisse mettre un terme à ces souffrances autrement que par une violence qui n'est pas légitime.

Votre colère vient d'une vision parcellaire de l'affaire ?

Cette lettre, je l'ai écrite d'abord pour Madame Sauvage, pour lui rappeler qui elle était et quelle personnalité on a nié pour en faire un symbole malgré elle. Et puis je l'ai écrite pour les jurés. Mes collègues magistrats professionnels, je les connais, ce sont des professionnels de grande qualité, ils ont peut-être encaissé. Mais les autres, les quinze magistrats d'un jour, nos jurés, qui font notre particularité, notre honneur d'avoir une justice criminelle rendue par le peuple, on leur dit : mais attendez, vous jugez comment ? C'est cela qui m'a motivé pour dire en leur nom : la vérité judiciaire établit que Madame Sauvage est une meurtrière aggravée. Elle encourait perpétuité pour avoir tué son mari. La cour d'assises, après avoir étudié, analysé, évalué l'ensemble de cette affaire l'a déclarée coupable et l'a condamnée à 10 ans. Madame Sauvage était d'accord avec ce verdict. Elle ne voulait pas faire appel. Et puis surgissent deux avocates qui vont faire appel.

La grâce présidentielle accordée par François Hollande, vous la prenez comme un désaveu ?

J'ai un respect total pour l'autorité politique. Le président de la République de l'époque n'a pas bafoué la Constitution, l'article 17 le prévoit. Simplement, si je peux me permettre une analyse, cet article 17 dans la Constitution de 1958 date d'un moment où la peine de mort existait, où il n'existait pas d'appel devant une cour d'assises. Aujourd'hui, peut-être qu'il y aurait une réflexion à entamer sur le caractère sans doute désuet de cette disposition constitutionnelle.

Vous mettez en avant la complexité de ce dossier. Quand on résume cette affaire à 47 ans de violences pour Jacqueline Sauvage, ce n'est pas ce qu'ont montré ces deux procès ?

J'ai presque de la peine pour Jacqueline Sauvage. C'est une femme qui s'est battue depuis son plus jeune âge contre ses parents, ses cinq frères. En 1965, elle était enceinte de 8 mois et demi, contre l'avis de tous, elle choisit Norbert Marot, qui va être son mari, qui va être le père de ses quatre enfants, qui va être son compagnon d'activité commerciale. C'est une femme déterminée, et je la salue. On en fait une femme soumise, et cela m'ennuie pour elle.

Il n'est pas question de nier les violences subies, mais elle a empêché aussi que le procès de ces violences ait lieu ?

C'est exactement cela. C'est quand même paradoxal. Si j'étais procureur de la République, et que je poursuivais quelqu'un qui me dit : "j'ai été victime d'une violence", je ferais une enquête. Madame Sauvage ne nous a pas laissé la possibilité de faire l'enquête. Une violence aurait suffi à faire condamner Norbert Marot. Toutes les violences qu'il a pu commettre, cela n'excuse en rien son geste, mais cela ne justifie en rien celui de sa femme. 

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